Le ruisseau de Gérise
Par MM, lundi 13 juillet 2015 à 12:13 :: Webthèque :: #63 :: rss
Un trésor patrimonial oublié :
« Le ruisseau de Gérise ( ou Gérize ), sur les Hautes-Chaumes du Forez »
Né dans la tourbière de Pater, à 1.300 m d’altitude, sur les Hautes-Chaumes du Forez, le ruisseau de Gérise se jette dans la rivière Dore, quinze kilomètres plus bas, à 430 m d’altitude près de la ville d’Olliergues.
Bien petit, à sa naissance, à peine trente centimètres de large, ce petit ru, méconnu, presque oublié, est une richesse patrimoniale de ce territoire.
Il a fait l’objet, en 1868, d’un document de cinquante quatre pages : « Extrait des Minutes du Greffe du Tribunal d’Ambert : Partage et Règlement des Eaux, Sources et Affluents du Ruisseau de Gérise. Le Tribunal d’Ambert a mandaté trois experts - géomètres, les sieurs AMOUROUX, PELISSON et MONTHEILLET, afin d’établir un règlement du partage des eaux de Gérise.
Ceci, suite à de nombreux différends survenus depuis la Révolution entre deux groupes de propriétaires utilisateurs :
- « ceux d’en-haut » : les agriculteurs
- « ceux d’en-bas » ( 800 m plus bas ) : trois usines à faire des planches ( des scieries ).
Les agriculteurs avaient besoin de toute l’eau pour irriguer leurs prairies d’estives, abreuver les animaux, fabriquer les fromages ( les fourmes ) dans les caves.
Les scieries avaient besoin de toute l’eau pour faire tourner les scies le plus longtemps possible chaque jour.
D’où les détournements d’eau des rases d’irrigation, les différends, les procès.
Les experts-géomètres ont d’abord recherché les origines de propriété de chacun.
Ils nous apprennent que le 19 Vendémiaire an X (11 octobre 1801), il y eut vente par Jacques-Léopold-Charles-Godefroy de La Tour d'Auvergne, Seigneur d’Olliergues, à quatre agriculteurs ( RIGAUD, FAFOURNOUX, CHEBANCE et TARRIT dont certains de leurs descendants sont encore présents périodiquement, aujourd’hui, sur ce petit territoire ) d’un « canton » de bois, appelé Revers, de la contenance de 30 stérées ( ou septérées ) = 18 ha 24 ares, sur la Haute-Montagne seigneuriale d’Olliergues.
Les experts-géomètres ont accompli un travail considérable et minutieux. Ils ont mesuré le débit de chacune d’une quarantaine de sources qui ajoutent leurs eaux à celle du ruisseau de Gérise, ce qui représentait un volume journalier d’environ 1.500 m3 ( l’équivalent aujourd’hui d’un convoi de 50 camions-citernes de 30 m3 ).
Ils ont dressé le plan ci-dessous :
Pour voir ce plan en plein écran et zoomer, cliquez dessus
Chacune des sources est répertoriée par un chiffre, de même, chaque parcelle, chacune des dix jasseries en activité. ( aujourd’hui deux ont été récemment réhabilitées, mais quatre sont encore des ruines ). Les rases principales, béals, et certains ouvrages, comme les puisards sont répertoriés par des lettres majuscules. Chaque chiffre et chaque lettre trouvent une signification tout au long des cinquante quatre pages ( toutes sauf une : la lettre K ? ).
Ils ont déterminé les besoins en eau de chaque parcelle de terrain, de chaque jasserie en fonction du nombre de têtes de bétail, et ont accompli le même travail méticuleux pour les scieries : besoins en eau des réserves, en amont des scies, en rapport avec la hauteur de la chute d’eau et les caractéristiques de chaque scie.
La conclusion de leur travail accompli fut que cette importante ressource ne suffisait pas pour satisfaire les besoins des uns et des autres.
Ils proposèrent donc que :
- l’agriculture utilise toutes les eaux débitées, du 25 Mars au 15 Octobre de chaque année
- du 16 Octobre au 24 mars, ces mêmes eaux profitent exclusivement aux usines.
Le Tribunal d’Ambert entérina cette proposition.
Aujourd’hui, 150 ans après, avec l’évolution industrielle et agricole, il n’y a plus de scieries ni de jasseries en activité pastorale.
Petit à petit, la nature a repris ses droits : maquis de sorbiers, d’alisiers, broussailles, fougères, callune. Gérise est toujours là. Une dizaine de sources seulement sont visibles. Les eaux de toutes les autres, enherbées, obstruées s’écoulent en souterrain jusqu’à Gérise.
Depuis une quinzaine d’années, en partie haute, sur quelques centaines de mètres, deux passionnés ont entrepris de réhabiliter le petit vallon de Gérise. Ils ont été encore plus motivés, après la découverte dans des archives familiales d'un document intitulé : « Partage et Règlement des Eaux, Sources et Affluents du Ruisseau de Gérise ».
Grâce au plan et aux explications dans le texte, ils entreprirent de débroussailler, creuser, pour retrouver des rases, des béals, des sources.
La première source dégagée est voisine de celle nommée par les Géomètres « Source du Faux Fourchu ». Le faux ( ou fayard ) c’est le hêtre. L’Histoire nous apprend qu’il y a 2000 ans, à l’époque romaine, les Hautes Chaumes étaient couvertes de forêts de hêtres. Tout au long des siècles qui ont suivi, les agriculteurs, en surpopulation dans la vallée de la Dore, ont abattu les forêts de hêtres pour les remplacer par des prairies. Le Faux Fourchu est vraisemblablement le dernier hêtre à cet endroit. Mort sur pied, ses branches étaient devenues squelettiques, d’où le qualificatif « fourchu ». De génération en génération, ce nom « Faux Fourchu » s’est transmis jusqu’à l’époque où les experts-géomètres recensèrent la Source du Faux Fourchu ( n° 13 ) avec un débit moyen de 48 m3/j.
Plus bas, un éboulis de pierres entre une rase et Gérise ( repéré 15 sur le plan ). Un barrage de déviation permettant la restitution de l’eau au cours d’eau principal, un des nombreux endroits qui ont été objets de litiges et de procès.
Plus bas encore, deux sources appelées par les Géomètres « Sources du Grand Creux » ( n° 16 ) étaient situées sur leur plan de chaque côté de la limite de propriété qui est toujours valable aujourd’hui. Celle située sur la propriété fut dégagée de la friche et recreusée après nombreux coups de pioches et de pelles : elle coule à nouveau.
Sur la rive droite de Gérise, en amont, une énigme :
- 1er élément : une plateforme recouverte de mousse ( la sphaigne ) : une tourbière anthropique ?
- au-dessus une excavation d’une soixantaine de m² avec sur les bords de grosses pierres : une ancienne loge, ancêtre d’une jasserie ?
- plus haut, sur l’ancienne rase asséchée de la source 16 : le point K ( K est la seule lettre qui n’a fait l’objet d’aucune définition dans le texte du règlement. Pourquoi ? )
La réponse est peut-être dans la solution de l’énigme que proposent les « deux passionnés » :
- l'eau de la fontaîne 12 était en partie dérivée au point K pour alimenter une loge en dessous ( réserve d'eau, cave à fromages, étable ) puis s'écoulait en direction de Gérise, comme dessiné sur le plan.
- Quand cette loge a-t-elle été inoccupée ? quand a-t-elle disparu ? : " en des temps reculés " selon l'expression des experts-géomètres qui ajoutent dans leur rapport : " c'est ce que cache le voile des temps "
- L' eau de la fontaine 12 continue de couler ... elle n'est plus " domestiquée ", elle s'infiltre, elle stagne et au cours des années, des siècles, crée en aval une tourbière anthropique, due non pas à la présence de l'homme, mais à son absence !
Les grosses pierres, ont peut-être servi à la construction des murs de la loge ? Ces pierres ont peut-être ensuite été utilisées, en partie, pour construire le mur de séparation en bas de la parcelle. Elles ont peut être aussi été récupérées pour entrer dans la construction postérieure de la jasserie de Jean-Baptiste SOLLELIS ( actuel Chabanou en 9bis ), alors propriétaire des deux parcelles. Au 19ème siècle, au moment où travaillent les géomètres, il n'y a plus de loge ... aucun procès à son sujet, ni au sujet de la fontaine 12 et de sa rase : seulement les restes d'une sorte d'ancien puisard, qu'ils ont repéré par la lettre K sans autre explication !
D’autres sources sont à redécouvrir, d’autres curiosités sont énigmatiques.
Les eaux de Gérise, sur les Hautes-Chaumes du Forez … un patrimoine et des richesses naturelles à protéger et à promouvoir en ce début du 21ème siècle.
Alain DENIS
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